Retrouvez ci-dessous l’homélie prononcée par Mgr Warin à l’occasion de la bénédiction des orgues de la paroisse Saint-Loup (Namur), le 22 octobre dernier : 

Le passage d’ évangile que nous venons d’écouter est un extrait du chapitre 22 de l’évangile de Matthieu qui en compte 28. La condamnation à mort de Jésus n’ est plus lointaine. Les pharisiens sont de plus en plus exaspérés par Jésus si dérangeant. Ils se concertent pour le prendre en défaut en le faisant parler. Ils lui posent cette question insidieuse : « Maître, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » La Palestine est alors soumise à l’empereur, sous domination romaine. Si Jésus répond qu’ il faut payer l’impôt à l’occupant romain, il va perdre la sympathie des foules. S’il répond qu’il ne faut pas le faire, les pharisiens pourront le dénoncer à l’empereur et l’accuser de subversion. Par l’introduction flatteuse dont ils usent, ils cherchent visiblement à lui faire condamner comme illicite l’impôt : ils lui accordent qu’il ne fait acception de personne et qu’il n’enseigne que les commandements de Dieu. À toutes fins utiles, ils ont pris avec eux des partisans d’Hérode qui étaient tout dévoués à l’ empereur. Tel est le piège qu’ils tendent à Jésus.

Que fait Jésus ? Il leur demande une pièce de monnaie. Les pharisiens lui tendent la pièce demandée. La monnaie était alors battue à l’effigie du souverain, en l’occurrence de l’empereur. Alors Jésus de dire. Si vous avez sur vous et si vous utilisez la monnaie frappée à l’effigie de l’empereur, c’est que vous reconnaissez son autorité. Et si vous reconnaissez son autorité, pourquoi me demander s’il faut lui payer l’impôt ? Puisque vous reconnaissez son autorité, rendez-lui ce qui lui est dû : « Rendez à César ce qui est à César. » Cette fois, ce sont les piégeurs qui sont piégés.

Mais Jésus ne se contente pas de déjouer le piège. Il ajoute : « «Et rendez à Dieu ce qui est à Dieu. » Que veut-il nous dire par là ? Que l’État, et pas davantage tout autre pouvoir comme celui de l’ argent, ne peut être érigé en absolu. La vocation de l’État est d’être au service de la justice et du bien-être de tous les hommes. Toute autorité est de service. Il n’y a qu’un seul absolu : Dieu.

Notre Saint-Père le Pape vient de publier une exhortation apostolique « Laudate Deum », qui est le complément de la lettre encyclique « Laudato Si », publiée il y a 8 années. Il y précise et complète la réflexion par les informations qui ont pu être recueillies ces dernières années. Le Pape y déplore que « nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. » « Quoi qu’il en soit de cette éventualité, il ne fait aucun doute que l’impact du changement climatique sera de plus en plus préjudiciable à la vie et aux familles de nombreuses personnes » (2). Il rappelle que la perspective n’est pas qu’écologique et qu’il s’agit d’ un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine. » « Les effets du changement climatique sont supportés par les personnes les plus vulnérables, que ce soit chez elles ou dans le monde entier » (3).

En ce dimanche de la mission universelle puissions-nous faire nôtre l’ invitation de Jésus à rendre à Dieu ce qui est à Dieu : il ne nous a pas faits propriétaires mais gérants de la création. Puissions-nous aussi faire nôtre le message du Pape.

En ce dimanche de la mission universelle, permettez-moi de rappeler aussi la mission commune à nous les baptisés. Nous, chrétiens, devons habiter notre foi et aussi notre monde.

Habiter notre foi. Car comment l’Église pourrait-elle être évangélisatrice si elle ne commence pas par s’évangéliser elle-même ? « Si le sel se dénature (…) il ne vaut plus rien » (cf. Mt 5,13). Dans un monde où la foi ne va plus de soi, pour être contagieux, il s’agit de vivre sa foi de manière effective, de s’approprier pleinement le message que nous avons reçu. Il faut que l’amour du Christ devienne une passion qui soulève tout l’être !

La foi reçue, pratiquée, partagée, annoncée est la raison d’être essentielle de l’Église qui est sacrement du salut pour le monde. Sans doute l’Église doit-elle vivre un recentrement sur cet essentiel-là, ne pas trop se préoccuper d’elle-même, de ses structures, de son fonctionnement et même de ses effectifs : « Cherchez d’ abord le Royaume de Dieu – a dit Jésus – le reste vous sera donné par surcroît » (cf. Mt 6, 33).

Il n’ y a pas si longtemps, j’ ai assisté à un mariage exclusivement civil. J’ai été approché par plusieurs personnes qui m’ont dit : « Je suis athée. » J’ai senti que, derrière cette profession de foi affirmée : « Je suis athée », leur cœur était tout de même un peu touché par l’Évangile. Et je me suis rappelé la phrase de Michel Salamolard, prêtre valaisan : « Il y a au fond des gens une nappe phréatique d’Évangile (…) mais ils ne se reconnaissent pas dans les mots de l’Église. » De fait, pour mes interlocuteurs à ce mariage, l’Église est perçue comme une machine puissante, coercitive même.

Je me suis dit qu’il y a là tout de même un reproche un peu fondé. Tout dans la vie du Christ est pauvreté, de A à Z, depuis la mangeoire de Bethléem jusqu’à la croix au Calvaire. L’Église est la barque de Pierre, un frêle esquif. Et elle doit fondamentalement le rester.

Développer une pastorale de la proposition de la foi dans la société actuelle implique que nous habitions notre foi, mais aussi une deuxième maison, à savoir la société actuelle.

Il s’agit de nous situer à l’intérieur de la société actuelle, de comprendre du dedans et d’aimer ceux et celles vers qui on est envoyés. Le Seigneur lui-même, qui était la Parole, a aimé passionnément ses contemporains. Il s’agit d’ aller vers le monde en l’aimant. De venir à lui non pas comme des justes parmi les pécheurs. Il s’agit de parler d’un Père commun connu des uns, méconnu ou ignoré des autres, comme des pardonnés et non comme des innocents.

Souvent dans l’aujourd’ hui, Dieu gémit ainsi :

-J’ai faim et votre dialogue Nord-Sud s’éternise en palabres ;

-J’ai faim et vous me dites : l’économie a ses lois ;

-J’ai faim et vous me dites : Après 35 ans on n’embauche plus ;

-J’ai faim et vous dites : « Il y aura toujours des pauvres » ;

-J’ai faim et vous me dites : « Désolé, repassez demain ! »

Comment pourrions-nous être lumière pour le monde si nous ignorons ses obscurités, ses noires misères ?

Aimer le monde ne signifie pas tout bénir. Notre société exalte l’individu et ses droits, mais se montre prête à le manipuler, à en faire une sorte d’objet soumis aux lois de la technique ou du marché. Je pense aux travailleurs qu’on licencie brutalement parce que la préoccupation est de faire toujours plus d’ argent.

Notre société est aussi une société désenchantée. Le nombre de suicides est particulièrement élevé chez-nous. Nous vivons dans une société qui regorge de biens matériels et qui souvent offre tout, tout de suite. Mais cette société n’ est-elle pas en même temps inquiète et un peu triste ? Apparemment, les hommes et les femmes ont tout. Mais au fond, ne souffrent-ils pas d’une absence ou du moins d’un crépuscule de l’essentiel ?

J’en ai la conviction : dans le monde et la société actuelle, l’Évangile et l’Église sont attendus, mais dans des conditions neuves. On n’attend pas de l’Église qu’elle fasse état de ses institutions. On attend d’elle qu’ elle montre la force de sa foi.

+ Pierre WARIN
Namur, Paroisse Saint-Loup, le 22 octobre 2023
29e dimanche ordinaire A

 

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