1er dimanche de l’Avent
Année B

Première lecture : Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7
Psaume : 79 (80), 2ac.3bc, 15-16a, 18-19
Deuxième lecture : 1 Co 1, 3-9
Évangile : Mc 13, 33-37

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Homélie

« Il y a toujours un rêve qui veille », écrit le poète Louis Aragon. Il pensait aux yeux d’Elsa. Mais chacun a ses propres rêves, son rêve intérieur. Pris par les soubresauts du quotidien, dans les entrelacs d’une vie compliquée, l’homme ne peut rêver tout le temps : éveillé et sans cesse connecté aux réalités dévorantes de sa vie, il l’oublie souvent. Mais son rêve veille toujours.

C’est le mot que Jésus utilise et répète, dans ce bref passage d’évangile : Veillez !

Le mystérieux chapitre 13 de Marc s’achève avec ce mot. Connu comme le discours eschatologique ou apocalyptique de Jésus (quels grands mots !), c’est une longue pièce oratoire adressée aux quatre premiers disciples, à l’écart, même si Jésus termine en disant : « Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez ! ». Avant d’entrer dans sa passion – un combat, une souffrance, une persévérance, une espérance – Jésus a, une fois encore, averti ses disciples. Un grand nombre d’exhortations parsèment ses derniers mots : prenez garde (13,33), comprenez (13,28), sachez (13,28.29), restez éveillés (13,33), veillez (13,35.37). Elles dominent même le détail des descriptions apocalyptiques que le découpage liturgique a évité : avec les mots des apocalypses d’autrefois, Jésus avait ouvert déjà, quelques versets plus haut, la perspective historique du temps de l’Église, chargée d’annoncer l’évangile dans un contexte d’opposition et de persécution.

Mais le temps de l’Église se superpose à un autre temps évoqué ici, le temps de la fin : la venue du Fils de l’homme sur les nuées n’inaugure pas un jugement final qu’il faudrait craindre, mais bien le rassemblement des élus.

Et voici le troisième temps, le temps immédiat de la vie du Christ, dans la génération même de ceux qui ont entendu les paroles indépassables de Jésus. C’est le temps de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ, qui demeure toujours présent. Jésus évoque, non pas le retour, mais la venue de l’homme parti en voyage : et sa venue se fera « le soir, ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin » (13,35). Ces mots rappellent immanquablement les quatre grands moments du récit de la passion, dans le même évangile de Marc : le soir de la dernière Cène (14,17), la nuit de l’agonie (14,30), le chant du coq au reniement de Pierre (14,72), et le procès matinal chez Pilate (15,1).

Voilà le moment (le kairos) de la venue véritable du Seigneur, à tous les temps de l’histoire des hommes. L’homme parti en voyage – toi et moi, dans les détours égarés de nos existences voyageuses – vient, revient, devient, en toi et en moi : c’est le Christ Jésus, dans le don de lui-même (« il a tout donné à ses serviteurs ») en sa vie passionnée.

N’est-ce pas le rêve éveillé du chrétien ? Il veille et, en lui, vient, comme un ami, le maître qui l’attend.

Chanoine Joël Rochette