Saint Charles Borromée, évêque, mémoire
Première lecture : Ph 2, 12-18
Psaume : Ps 26 (27), 1, 4, 13-14
Évangile : Lc 14, 25-33
Homélie
Il y a un instant, Jésus demandait de marcher à sa suite, et voici qu’il recommande pour cela de commencer par s’asseoir !
Prendre le temps de se mettre en position de réflexion, c’est essentiel !
Il s’agit de faire silence pour se débarrasser de l’immédiateté ; ainsi, on peut non seulement délibérer intérieurement, mais aussi entendre résonner en soi la Parole que Dieu nous adresse.
Le devoir de s’asseoir concerne chacun de nous : avant de se lancer dans une grande œuvre, avant de prendre une décision importante, avant de suivre quelqu’un, on a tout intérêt à prendre ce temps de réflexion.
Être assis, c’est se laisser porter par le sol avant de demander à nos deux jambes de le faire. C’est être un instant passif pour fonder l’action qui va suivre. Les Écritures affirment que c’est aussi l’attitude du Christ en gloire, depuis l’Ascension où Dieu l’a fait asseoir à sa droite. Dans cette position, je peux penser à mon avenir en Christ, car, un jour, je serai assis à ses côtés. Symboliquement donc, s’asseoir, c’est fonder mes décisions en les orientant vers le but ultime, vers l’espérance qui me meut.
Jésus emploie encore le verbe calculer. « S’asseoir pour calculer la dépense » est une attitude de sagesse. Le calcul permet l’anticipation ; il introduit la raison et la logique dans nos projets et nos envies autrement démesurés.
Attention, le calcul peut être mauvais : il est désavoué par Dieu lorsqu’il devient orgueilleux au point de ne vouloir compter (tiens, un verbe apparenté à calculer !) que sur nos propres forces. Souvenez-vous du roi David voulant dénombrer ses armées pour être sûr de sa puissance militaire : « Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer les Israélites » (1 Ch 21). Dieu n’approuva pas ce genre de calcul !
Dans l’Évangile, le calcul de l’empereur romain, qui voulait recenser l’humanité pour manifester l’immensité de son empire, est complètement retourné : ce calcul, finalement, servira à manifester l’humble roi de Bethléem (Lc 2,1-19). Les multitudes soumises à César pourraient accueillir le Fils unique…
Reste que le calcul des dépenses de la tour est ici très évangélique. Car c’est bien de dépenses que parle Jésus : impossible de le suivre sans perdre. Il faut perdre en effet, avant de gagner ; la dépense est, en fait, un investissement.
Car on ne se lance pas comme cela à la suite du Christ. Le catéchuménat des adultes dure deux à trois ans, au minimum. Il faut du temps pour évaluer les conversions à vivre, les pertes à assumer, les changements à engager. Devenir prêtre ou religieuse demande cette même patience. La prime en ce domaine revient sans doute aux jésuites (ne faut-il pas 10 à 15 ans pour le devenir ?).
Le calcul, une fois bien assis, a pour but de savoir si on peut aller jusqu’au bout de l’aventure, quelle qu’elle soit : le mariage, la vie consacrée, la vie de prière, la création d’une entreprise ou une responsabilité associative à prendre. Dans l’Ancien Testament, l’homme n’a pas pu aller jusqu’au bout de la construction d’une tour célèbre (Gn 11,1-9). Babel est demeurée inachevée, parce que les ouvriers n’ont pas pris le temps de s’asseoir pour réfléchir aux conséquences de leur folle envie. Jésus y fait référence implicitement. Car lui, il ira jusqu’au bout de la volonté de son Père de bâtir une autre tour touchant le ciel : la croix en sera le signe. « Aller chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10) pour les associer à l’intimité divine : voilà la construction pour laquelle Jésus est prêt à aller jusqu’au bout.
Comment achever nos projets les plus vrais, familiaux, professionnels, spirituels ou autres, si nous ne prenons pas régulièrement le temps de nous asseoir, pour calculer avec sagesse ce qu’il va falloir perdre et ce qui nous mobilise vraiment, les conséquences à anticiper, pour aller jusqu’au bout ?
Dans les équipes Notre-Dame, le devoir de s’asseoir demande aux couples de prendre une soirée par mois, et une semaine par an, pour se retrouver à deux devant Dieu. C’est le même devoir de s’asseoir qui, en Lc 14, presse chacun de nous de fonder notre désir d’agir.
Prenons ce temps de sage réflexion, particulièrement en ce temps de confinement, pour voir où nous avons envie d’aller et comment y aller jusqu’au bout.
S’asseoir, calculer, aller jusqu’au bout… avec le Seigneur.
Amen.
Chanoine Joël Rochette
Pour télécharger la version imprimable des textes complets, cliquez ici.