Dans la première lecture, le passage du premier livre des Rois, le Seigneur dit au prophète Élie : « Tu consacreras Élisée, fils Shafath ». Mais alors qu’Élie a jeté vers lui son manteau, un geste qui reconnaissait une vocation prophétique semblable à la sienne, au grand dam d’Élie, Élisée regarde en arrière : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai ».

Dans l’Évangile, à celui qui dira : « je te suivrai Seigneur mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison », Jésus répondra : « quiconque met la main à la charrue puis regarde en arrière n’est pas fait pour le royaume de Dieu ».  À l’exemple de son maître, le disciple ne s’appartient plus. Il accepte de se donner, et de se donner sans compter.  Il fait sien le chemin du maître. Il prend avec lui le visage déterminé, la route de Jérusalem, conscient que le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête.

Ce dimanche 26 juin, en cette église cathédrale, j’ordonne un prêtre. Un seul. Certains disent : « n’y aurait-il pas davantage de candidats si l’on renonçait au célibat. Ne faudrait-il pas un autre type de prêtre ? »  Permettez-moi de souligner que le célibat est bien davantage qu’une obligation.  Se consacrer pour toujours, et exclusivement, à la cause divine, n’est-ce pas la réponse qui convient plutôt quand le Seigneur vous appelle ainsi : « Viens, laisse tout et suis-moi » ?  Dans l’Évangile de Marc, au chapitre 10 verset 28, Pierre prend ainsi la parole : « Eh bien nous, nous avons tout laissé pour te suivre ! ». La radicalité est une caractéristique de la vocation des Douze. Il s’agit de s’en remettre en tout à Jésus. C’est ici que le célibat trouve ses racines évangéliques profondes.

J’ai devant moi aujourd’hui Patrick et Justin qui viennent de recevoir un petit ministère ainsi que Boris qui, dans un instant, sera ordonné prêtre.  Je voudrais leur dire que le célibat consacré n’est pas un chemin facile.  Dans Pastores dabo vobis, l’exhortation apostolique du saint pape Jean-Paul II sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles, il note que le charisme du célibat, même authentique et éprouvé, laisse intacte les inclinations de l’affectivité et les pulsions de l’instinct.

Cher amis futurs prêtres, ne vous effrayez pas si, à certaines heures, vous êtes tourmentés et si, à l’occasion, votre cœur saigne. Notre société, en même temps qu’elle la banalise, absolutise la relation amoureuse et sexuelle. Elle nous murmure : « impossible de vivre sans elle ! ». Nous vivons dans un monde très érotisé. Le célibat consacré, et il en va de même pour le mariage, implique une ascèse. On ne lit pas et on ne regarde pas n’importe quoi. Le prêtre doit éviter les apartés au clair de lune avec une jeune animatrice ou une maman catéchiste. Il doit s’arranger pour ne pas être là quand les enfants au camp se lavent, ou se changent. Il doit maintenir une saine distance, la distance d’une table, disait-on volontiers naguère. Des jeunes – ou des moins jeunes – vous balanceront peut-être un jour : « que vous soyez célibataire ou mariés, pour moi, cela ne change rien ». Il faut alors savoir s’accrocher mais ne croyez pas trop vite que le célibat n’est plus du tout un signe. Le célibat ne se comprend bien que dans la foi. Or, on assiste aujourd’hui à un crépuscule de la foi et de Dieu.

Le chemin sur lequel s’engagent les mariés n’est pas non plus un chemin facile. Il m’est arrivé en célébrant un mariage, de dire : « vous réaliserez que, dans le mariage, il n’est pas possible de tout marier et vous aurez à en souffrir. Maintes fois, vous expérimenterez que le mariage est une concession à perpétuité ». Puis, tout de même, j’ai ajouté : « mais vous vérifierez surtout que, quand l’épreuve du temps fortifie l’union entre époux, le métal devient toujours plus précieux. Après les noces d’étain, ce sont les noces d’argent, ensuite les noces d’or, puis les noces de platine, après 70 ans de vie main dans la main ».

Chers futurs prêtres, le célibat consacré n’est pas un chemin facile, mais il n’est en soi un chemin triste. Prêtre depuis bientôt 50 ans, je voudrais vous dire que le célibat est possible et que le chemin du célibat en lui-même n’est pas un chemin qui rend amer. Le célibat du prêtre est une forme d’amour qui engage toutes les énergies dans une relation personnelle avec le Christ et dans la charité pastorale à l’égard de tous. Or, l’amitié intense avec le Christ ainsi que l’amour oblatif, sont sources d’épanouissement profond. C’est cet épanouissement profond que je vous souhaite de tout cœur aujourd’hui.