33e dimanche du temps ordinaire
Année A

Première lecture : Pr 31, 10-13.19-20.30-31
Psaume : Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-5
Deuxième lecture : 1 Th 5, 1-6
Évangile : Mt 25, 14-30

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Homélie

Avez-vous déjà vu des pièces d’or ? J’en avais une… je la gardais précieusement, venue de mon grand-père : une toute petite, un petit napoléon. Je ne la trouve plus…

Eh bien, pour vous donner une idée de la confiance que le maître fait à ses employés, dans la parabole que Jésus nous raconte, sachez qu’au troisième, à qui il confie un seul talent, c’est l’équivalent de 300 pièces de vingt francs-or, soit six mille francs-or, qu’il lui confie !

Et au premier employé, à qui le maître confie 1500 pièces d’or (soit 5 fois plus), il faudra certainement un gros coffre pour emporter ce trésor. Une fortune !

Commençons donc par nous sortir de l’idée selon laquelle les talents sont des qualités que nous avons de naissance. Ici, il s’agit d’argent, et donc de sommes considérables.

Autre précision, tout aussi importante : cinq fois dans ce texte, il est question de « confier ». Le maître confie sa richesse à ses employés ; donc il leur fait entièrement confiance, avant de les quitter pour longtemps. Il est parti. Il reviendra, certes, mais on ne sait pas quand.

Nous comprenons facilement que cette histoire que Jésus raconte veut nous décrire deux façons radicalement opposées de gérer notre vie : la confiance ou la méfiance.

À ce Dieu qui nous fait largement confiance, nous pouvons répondre par une confiance égale. Mais nous pouvons aussi nous faire une fausse image de lui. Alors, c’est la peur qui régit toutes nos attitudes, simplement parce que nous nous trompons sur lui et sur ce qu’il est. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus avait bien perçu cela, qui disait : « Vous voulez un Dieu amour, vous aurez un Dieu amour ; vous voulez un Dieu justice, vous aurez un Dieu justice. »

Le thème de l’absence du maître est fréquent dans les Évangiles. C’est notre situation vis-à-vis de Dieu. C’est ainsi qu’est le temps de l’Église. Nous n’avons sous la main que des signes : l’Église elle-même, avec ses aspects parfois déconcertants, les sacrements, qui requièrent la foi. Bref, Dieu nous laisse à notre pleine et entière liberté. Il nous fait une confiance inouïe. Aucune consigne : nous sommes libres de gérer sa fortune selon notre propre initiative. Notre vie est entre nos mains, nos familles, nos collectivités, notre gestion du monde : nos choix sont libres et personnels, sans aucune directive venant d’en haut.

À nous d’être des serviteurs fidèles. Là encore, il faut éviter un contresens sur la signification du mot « fidèle ». En règle générale, le mot évoque pour nous l’idée d’un attachement loyal, donc, d’une dépendance. Ici, par contre, comme dans toute la Bible, on parle de fidélité d’abord en pensant à Dieu. Dieu est fidèle parce qu’on peut compter sur lui, parce qu’il mérite notre confiance, parce qu’il est vrai. Le serviteur « fidèle » est celui qui fait confiance en réponse à la « fidélité » de Dieu. Prenons donc le mot en son sens étymologique : est fidèle celui qui fait foi. À la confiance de Dieu répond la confiance de l’homme. Il faut parier sur la bienveillance du maître. Ce que n’a pas pu faire le troisième employé !

Car le contraire de la confiance, c’est la méfiance, la peur : « J’ai eu peur… tu es un homme dur… tu moissonnes là où tu n’as pas semé. » Ce troisième serviteur n’a pas répondu à la confiance du maître par la confiance et cela l’a rendu paresseux. En effet, à quoi bon agir et se démener quand on ne croit pas à la valeur de ce que l’on fait ? Toute notre vie de foi se joue là, entre cette confiance et cette défiance. Cette parabole est une illustration parfaite de notre relation avec Dieu. On en revient toujours aux premières pages de la Bible : à l’homme qui fait confiance à Dieu son créateur, le serpent déclare qu’il se trompe et que Dieu n’est pas celui qu’il croit. Il est un Dieu jaloux, cruel, perfide, qui aurait peur de perdre son pouvoir sur les humains. « Tu moissonnes là où tu n’as pas semé… »

La fin de la parabole est curieuse. Le maître ne reprend pas ses talents. Il les laisse aux serviteurs fidèles. Travailler pour Dieu et travailler pour nous sont une seule et même chose. Car Dieu ne nous est pas extérieur. Et voici une phrase inquiétante : « À celui qui n’a rien on enlèvera même ce qu’il a. » En fait, aucun des trois serviteurs n’a quoi que ce soit au début de la parabole. Tout leur est donné. Celui qui n’a rien, à la fin, est celui qui n’a rien su créer avec ce qu’on lui avait confié. Il n’a rien perdu, puisqu’il n’avait rien : mais il n’a pas produit le fruit que l’on attendait de lui.

Comme la femme vaillante et débrouillarde dont le livre des Proverbes fait l’éloge, selon l’invitation de l’apôtre Paul à ne pas rester endormis, notre parabole nous décrit une vie chrétienne dynamique et active. Le contraire d’une religion d’évasion.

La confiance nous permet de vivre et d’agir en sachant que notre effort n’est pas vain, mais débouche dans la joie : « Entre dans la joie de ton Maître ! », nous dira-t-il un jour. Du moins, c’est ce que j’espère. Amen.

Chanoine Joël Rochette